Le seul point sur lequel tout le monde s’accorde depuis le début de cette crise sanitaire : pour endiguer la propagation du coronavirus, il faut se laver les mains, souvent et avec soin.
Mais pourquoi ? Nos mains sont-elles si sales ? Le virus prend-il un malin plaisir à s’y nicher ?
Et pourquoi recommande t-on un produit particulier pour se laver les mains – un gel hydro-alcoolique, dont la possible pénurie fait peur à tout le monde[1] ? Le savon ne suffit pas ?
Si comme moi vous avez la curiosité de comprendre pourquoi on nous recommande ce geste tout simple, suivez-moi.
Le microbiote est partout, y compris sur nos mains
Vous connaissez certainement le microbiote intestinal, celui qu’on surnomme le “deuxième cerveau”. C’est de loin le microbiote le plus important, en nombre de bactéries hébergées, mais aussi concernant son rôle pour l’équilibre de notre santé.
Mais figurez-vous qu’il n’y a pas un, mais plusieurs microbiotes dans et sur notre corps. Par exemple…
- À la surface de nos yeux, un microbiote oculaire fleurit.
- Les femmes hébergent un microbiote vaginal.
- Sur notre peau, on trouve le microbiote cutané, aussi appelé “flore cutanée”.
De quoi s’agit-il ?
De micro-organismes qui pullulent à la surface de notre corps, naturellement invisibles à nos yeux. Une peau d’adulte héberge en moyenne mille milliards de bactéries (soit 500 mille bactéries pour un centimètre carré de peau), avec plus de 500 espèces différentes représentées[2].
Pourquoi est-il là ?
La surface de notre peau est un milieu chaud et humide, qui présente un nombre infini de plis et de creux microscopiques. C’est un milieu idéal pour la survie de bactéries et d’autres micro-organismes. Ils se nourrissent des molécules et des déchets produits par la peau elle-même.
La flore cutanée varie selon les individus, l’âge, le sexe, l’environnement et bien sûr les activités. Elle varie aussi selon les parties du corps[3].
Les zones corporelles les plus riches en bactéries sont les mains, puis le cuir chevelu, puis les aisselles.
Est-il dangereux ?
Pas du tout. Notre microbiote cutané et notre système immunitaire vivent en bonne intelligence.
Le système immunitaire connaît les bactéries qui le composent, et sait les repousser si elles tentent de pénétrer dans notre corps.
La flore bactérienne limite le risque de colonisation de la peau par une bactérie pathogène et constitue une protection contre l’inflammation de la peau[4].
Autrement dit, les bactéries de notre microbiote cutané occupent le terrain en empêchant d’autres bactéries, potentiellement dangereuses de se reproduire et de tenter de s’introduire dans notre corps.
Alors, quel est le problème ?
Le problème, c’est la flore transitoire. D’autres bactéries, d’autres micro-organismes que ceux de notre microbiote peuvent survivre au milieu de notre microbiote. Ils s’y installent à chaque fois que notre peau, en général nos mains, touche un endroit contaminé.
Or, nous passons notre temps à utiliser nos mains pour saisir des choses. C’est normal, la pince formée par notre pouce et notre index opposé est un de nos grands avantages évolutifs.
Faites l’expérience : essayez de vous passer de vos mains pendant quelques minutes, vous aurez du mal. Ne serait-ce que pour lire ce message, vous allez devoir toucher la souris ou faire défiler le texte sur votre écran.
Nos mains vont donc régulièrement être polluées par une flore dite transitoire, laquelle peut héberger temporairement des germes dangereux, comme des virus. Temporairement parce que notre microbiote cutané va se charger d’éliminer au fur et à mesure ces bactéries étrangères (sauf si la bactérie s’impose, et alors nous avons un problème).
Mais pendant quelques heures ou quelques jours, nos mains peuvent transporter une bactérie depuis le microbiote cutané dans notre corps. Comment ? Nous passons notre temps à toucher (souvent sans nous en rendre compte) nos muqueuses avec les mains : la bouche, les yeux, l’intérieur du nez, des blessures, nos organes génitaux, l’anus, etc.
Là encore faites l’expérience : observez votre conjoint(e). Il ne se passera pas une ou deux minutes avant que ses mains n’entrent en contact avec une muqueuse.
Lors de ce contact, la bactérie de la flore transitoire peut passer dans notre corps. Rappelez-vous, le système immunitaire est habitué à notre microbiote permanent, mais pas à la flore transitoire.
Nous collectons donc des agents pathogènes avec nos mains, et nous les introduisons nous-mêmes à l’intérieur de notre corps.
Lave-toi les mains, une découverte récente
Tout cela vous semble peut-être évident ? Vos parents vous disaient bien de se laver les mains avant de passer à table !
Sachez qu’il y a seulement un siècle, ça ne l’était pour personne.
Un obstétricien hongrois, Ignace Philippe Semmelweis, a été le premier à comprendre ce mécanisme d’infection.
En juillet 1846, il est nommé chef de service dans une maternité. Il constate que le taux de mortalité maternelle et néonatale due à la fièvre puerpérale (une maladie infectieuse qui survient après un accouchement ou une fausse couche) est de 13 %, contre seulement 3 % dans un autre service situé dans le même hôpital et utilisant les mêmes techniques.
En 1847, un ami à lui meurt d’une infection après s’être blessé accidentellement au doigt avec un scalpel, au cours de la dissection d’un cadavre. Sa propre autopsie révèle une pathologie identique à celle des femmes mortes de la fièvre puerpérale.
Semmelweis voit immédiatement le rapport entre la contamination par les cadavres et la fièvre puerpérale. Dans un service, certains médecins pratiquant les accouchements faisaient aussi des dissections sur les cadavres, et pas dans l’autre.
Semmelweis conclut qu’une substance inconnue présente sur les cadavres provoque la fièvre puerpérale. Il prescrit alors, en mai 1847, l’emploi d’une solution d’hypochlorite de calcium pour le lavage des mains entre le travail d’autopsie et l’examen des patientes ; le taux de mortalité chute de 12 % à 2,4 %.
Semmelweiss vient de prouver qu’en se lavant les mains, on évite que celles-ci propagent des maladies.
Le coronavirus peut survivre plusieurs jours sur certaines surfaces
Dans le cas du coronavirus, comment parvient-il sur nos mains ?
Si des personnes contagieuses éternuent en notre présence par exemple. Mais aussi en touchant des objets et des surfaces qui ont été préalablement souillées par des personnes contagieuses.
Une étude publiée la semaine dernière dans le New England Journal of Medecine[5] a quantifié précisément la durée de survie, et donc la capacité à être transmis, du coronavirus en fonction du type de surface.
Le virus survivrait jusqu’à 3 heures dans l’air, 4 heures sur une surface en cuivre, 24 heures sur du carton et 2 ou 3 jours sur du plastique.
Attention, cette étude a été réalisée avec un protocole expérimental qui projette une charge virale beaucoup plus élevée que dans la réalité. En dessous de 10 000 particules projetées, le virus résiste moins de 5 minutes, quelle que soit la surface[6].
Mais cela vous explique l’importance de ce geste, notamment dans un milieu médical ou la charge virale est forte. Concrètement, les soignants se lavent les mains avant et après chaque contact avec un patient, tout particulièrement lorsqu’ils traitent une maladie infectieuse comme le coronavirus.
Pourquoi se laver les mains avec une solution hydroalcoolique ?
Les solutions hydro-alcooliques (SHA) sont des solutions aseptisantes cutanées (ou dit plus simplement, un produit pour se laver les mains). Les deux principes actifs sont un alcool et un agent antibactérien.
Leur efficacité des solutions hydro-alcooliques comme bactéricides, virucides et fongicides a été démontrée dans plusieurs études depuis les années 1970[7].
En 1976, William Griffith, docteur à l’hôpital de Fribourg en Suisse, formule la solution hydro-alcoolique que nous utilisons aujourd’hui. Un autre médecin Suisse, Didier Pittet, promeut son usage notamment auprès de l’OMS. L’avantage de cette formule est de réduire le besoin en eau, ce qui est précieux notamment dans les pays en voie de développement. Il fait aussi en sorte que le brevet soit public.
On dit de Didier Pittet que s’il avait brevetée cette formule de SHA, il serait aujourd’hui l’un des hommes les plus riches du monde[8].
Pour conclure, comment effectuer ce geste essentiel ?
Si vous n’êtes pas personnel soignant, ou si vous n’êtes pas régulièrement en contact avec d’autres personnes ou avec des surfaces qui pourraient avoir été souillées, ne vous inquiétez pas si vous n’avez pas ou pas encore de gel hydroalcoolique. Se laver les mains avec du savon est déjà très efficace (bien sûr, si vous avez du gel, c’est encore mieux).
Afin d’avoir une hygiène des mains optimale, le lavage doit s’appliquer sur toute la surface de la main.
Je vous rappelle les règles de base à respecter[9] :
- mouillez-vous les mains sous l’eau courante ;
- Savonnez-vous les mains ;
- Frottez-vous les mains jusqu’à produire de la mousse ;
- N’oubliez pas le dos des mains, entre les doigts, sous les ongles, les poignets ;
- Rincez-vous les mains sous l’eau courante ;
- Séchez-vous les mains avec une serviette propre ou un essuie-mains en papier jetable.
Les bactéries adorent les recoins chauds et humides. N’oubliez pas d’enlever vos bijoux pour vous laver les mains, et prenez un soin particulier des plis de la peau et du dessous des ongles.
P.S. : Le geste simple que vous pourriez faire aujourd’hui ?
En cette période où nous nous lavons beaucoup les mains, c’est le moment ou jamais de choisir un savon écologique et non agressif pour votre peau.
Les savons saponifiés de méthode artisanale, sans huile de palme, sans paraben, sans sodium laureth/lauryl sulfate, sans parfum artificiel, seront tout aussi efficaces et meilleurs pour votre peau.
Vous pouvez aussi regarder cette vidéo amusante et instructive sur le lavage de mains.