Nous venons de traverser une période particulièrement difficile : certains ont dû affronter la mort, d’autres la maladie parfois à un stade grave. Ces moments ne sont pas sans conséquence. À tout âge, un traumatisme doit être « digéré ».
Aborder ces questions graves avec les plus jeunes n’est pas évident.
Dans mon cabinet, en tant que psychothérapeute, je reçois de nombreux patients « en colère » à la suite d’un choc émotionnel plus ou moins fort.
J’aimerais aujourd’hui vous raconter l’histoire de Mathieu, un de mes « petits patients » qui a réussi à surmonter sa peine et sa colère.
Un enfant agité
Mathieu a 5 ans et son papa s’est suicidé il y a un an. Sa maman l’emmène en consultation pour l’aider à passer ce cap.
Lors de la première entrevue, je note que Mathieu est très agité. Sa maman me raconte qu’il est très coléreux, qu’il la tape fréquemment et qu’il lui dit souvent que son papa lui manque.
Au cabinet il se cache derrière les fauteuils, évite le regard et sautille en permanence.
Si vous connaissez Le Petit Prince de Saint-Exupéry, Mathieu est un peu comme le renard du livre : il a besoin qu’on l’apprivoise. Après 20 minutes d’agitation, il se calme.
Mathieu, fais-moi un dessin
Dans la lignée de Françoise Dolto (1), je fais toujours faire des dessins aux enfants qui viennent en psychothérapie.
En effet, il est difficile pour les enfants d’exprimer ce qu’ils ressentent avec des mots. Le dessin leur permet une expression dès le plus jeune âge, à 3 ou 4 ans.
Il est alors possible pour le thérapeute d’interpréter les formes, la taille des personnages, les couleurs employées et le discours que l’enfant a sur son dessin (2).
Pour Mathieu, les débuts sur le papier sont très brouillons, à l’image de ce qui se passe dans sa tête. Mais au bout d’un moment, il me dessine ce qu’il dit être une tortue ninja, symbole pour lui de quelqu’un de fort qui le protège.
À la sortie du premier entretien, il souhaite me revoir.
« Sympa de parler avec toi » me dit-il en partant.
Le second entretien est plus calme. Il se rapproche et semble avoir envie d’un contact. Son dessin est plus structuré, il se calme et fait moins de colères.
Au bout de 4 séances, Mathieu me dessine un gros bonhomme avec des grands yeux, un bateau sur l’eau et un soleil.
« C’est mon papa » dit-il « et il pense à moi ».
Les colères ont disparu.
Dans le même temps, sa maman applique la consigne que je lui ai suggérée : être ferme avec le « non », ne pas céder à tous les caprices. Cette fermeté va aider Mathieu à savoir où se trouvent les limites.
Grâce à cette nouvelle consigne, Mathieu ne la tape plus et une complicité s’est installée entre eux.
Un traumatisme à digérer
Les phases de deuil sont identiques chez l’enfant et chez l’adulte, même si elles ne s’expriment pas de la même façon.
Pour la maman, la difficulté est grande : réussir à faire son deuil, veiller sur un enfant en colère contre le fait qu’on lui ait pris son papa, savoir faire la part des choses entre la consolation (nécessaire pour son enfant) et le maintien de règles inhérentes à l’éducation.
Chez l’enfant, les deuils débutent par un moment de révolte et de déni. Cette première phase se traduit par de la colère, de la peur et un refus de croire à la disparition de la personne. En effet, souvent tenu à l’écart des rites funéraires, l’enfant peut douter de la parole de l’adulte.
La mort n’a pas toujours du sens pour lui.
Il est important de l’aider psychologiquement durant cette période pour éviter un passage trop brutal en dépression. Angoissé, triste, il devient agressif et peut même évoquer le fait de vouloir rejoindre l’être perdu ou de se suicider.
Le deuil prend fin quand l’enfant est capable de se « réorganiser ». Il met alors en place des comportements et un modèle de vie adapté à sa nouvelle situation. Il est maintenant capable de faire avec.
Dire la vérité
Le rôle de l’adulte est fondamental pendant la phase de deuil. Dire la vérité sur la mort de la personne apaise l’enfant et l’aide à envisager la perte et le manque.
Aujourd’hui, Mathieu ne parle plus du manque de son père.
Si l‘enfant a souvent des difficultés à mettre des mots sur ce qu’il ressent, l’adulte peut, avec des mots simples lui donner le droit d’être triste, en colère voire de ne pas vouloir en parler…
Françoise Dolto conseillait de dire aux enfants qui abordent la mort : « On meurt quand on a fini de vivre ».
C’est une jolie phrase.
Être au clair avec soi-même
Pouvoir parler calmement de la mort avec un enfant c’est être soi-même au clair avec elle sans se laisser envahir par la tristesse ou la colère.
Les questionnements des enfants sur la vie, la mort et toutes ces choses qui les entourent nous permettent à nous, adultes, de nous poser ces mêmes questions et d’essayer d’y répondre.
Le deuil fait partie de ces chocs post-traumatiques qui peuvent laisser des traces très longtemps lorsqu’ils sont mal gérés.
En parler, c’est déjà commencer à cheminer vers la guérison émotionnelle.
L’accompagnement psychothérapique est un cheminement qui permet, avec un autre, de retrouver la paix avec ses émotions.