Les orties sont comme les chiens, elles ne mordent que si vous avez peur d’elles. D’accord, il existe certains chiens hargneux qui mordent tout le monde, et certaines orties craintives n’oublieront pas de vous piquer . Pourtant, n’importe quel botaniste vous invitera à faire cette expérience : partez à la rencontre des orties en maîtrisant votre appréhension, parlez leur avant de les toucher… et elles ne vous feront pas de mal (ou nettement moins) !
L’ortie est la plante la plus injustement déconsidérée par l’Homme. On les arrache, on apprend aux enfants à se méfier d’elles, on y jette nos mémés quand elles ne servent plus à rien.
Pourtant, c’est une des plantes les plus utiles et les plus généreuses qu’on puisse trouver dans nos jardins, dans nos fossés, dans nos terrains vagues. Qui plus est, elle se plante toute seule, et ne demande aucun entretien. Elle se régénère en permanence, et permet donc des récoltes régulières pendant la belle saison.
C’est pourquoi j’ai décidé d’écrire une lettre d’Amour aux Orties, pour vous éclairer sur tous les bienfaits que cette plante peut procurer.
Comme l’écrivait Victor Hugo :
J’aime l’araignée et j’aime l’ortie,
Parce qu’on les hait
Et que rien n’exauce et que tout châtie
Leur morne souhait[1].
Une savante mécanique physico-chimique qui leurre notre cerveau
Pourquoi les orties sont-elles la seule plante sans épines qui pique ? Cela devrait nous mettre la puce à l’oreille quant à sa préciosité. Après tout, si le rosier a des épines acérées, c’est d’après les poètes, pour protéger ses magnifiques roses de la convoitise, non ?
Comment fonctionne l’auto-défense de l’ortie ?
La tige et les feuilles d’orties sont recouvertes de poils minuscules et creux, remplis de composés urticants (mot qui lui même provient de l’ortie, Urtica en latin). Ils contiennent notamment de l’acide formique (comme les fourmis et les dards d’abeille) et de l’histamine.
L’extrémité du poil, en silice, est très fragile. Au contact d’une main ou d’une cuisse qui passe nonchalamment, elle se casse, et la base du poil biseautée pénètre la peau tout en libérant son contenu dans les couches superficielles de l’épiderme.
La sensation de brûlure vient du fait que l’histamine est le neurotransmetteur chargé, dans notre corps, de coordonner la réponse de nos organes à la brûlure. L’ortie ne nous brûle pas : elle fait croire à notre corps qu’il est brûlé, ce qui déclenche la réaction normale, rougeur, démangeaison, douleur. C’est extrêmement malin !
Une plante que tous les insectes s’arrachent
Pourquoi ce subterfuge ? Pour échapper aux convoitises de tous les insectes et autres animaux qui savent à quel point elle est nourrissante et bénéfique.
L’ortie est l’habitat préféré, voire dans de nombreux cas, le seul aliment, pour de nombreux insectes, notamment des papillons. Le paon du jour, la petite tortue, la belle-dame, le Robert-le-Diable ne pondent leurs oeufs que sur les orties. Elle abrite également de nombreuses larves de papillons de nuit, écaille-martre ou écaille-rouge. Une foule d’insectes nichent sur ou autour de l’ortie : mites, charançons, cigales, pucerons, fourmis et coccinelles.
De nombreux oiseaux mangent ses graines : bouvreuils, moineaux, perdrix, etc. Les petits oiseaux insectivores viennent y chasser ou y font leur nid.
Laissez les orties pousser dans votre jardin, et vous favoriserez toute la faune volante.
Pourquoi les animaux se nourrissent d’orties qui piquent ?
Parce que c’est un super aliment, au même titre que le curcuma, le ginseng ou la myrtille.
Les orties sont riches en vitamines A, B et E. Elles contiennent six fois plus de vitamine C que les oranges, deux fois plus de fer que le boeuf et 4 fois plus de calcium qu’un yaourt.
Les feuilles contiennent 8 g de protéines pour 100 g, et procurent 18 acides aminés dont 8 essentiels. Elle renferme également du potassium, du calcium, du zinc, du magnésium, du manganèse, de la silice…
Les cas de populations humaines survivant en mangeant des orties ne sont malheureusement pas rares, ni très anciens. Les paysans d’Irlande, durant la Grande Famine de 1848, ont survécu grâce aux pommes de terre, à la moutarde sauvage et aux orties[2].
Une pharmacie presque complète et gratuite
L’ortie nourrit et soigne.
Dans les médecines traditionnelles du monde entier, l’ortie a de nombreux usages thérapeutiques. Elle était utilisée pour soulager les rhumatismes[3], l’hypertension et le diabète[4]. Parmi les vertus réputées de l’ortie, elle favoriserait la lactation, permettrait de réguler les menstruations, de restaurer l’équilibre acido-basique. Elle aurait des vertus aphrodisiaques et favoriserait la repousse des cheveux.
La science a validé l’utilisation d’extraits de feuilles ou de racines d’ortie pour le traitement de nombreuses pathologies.
Prostate, problèmes urinaires : un traitement établi
L’Organisation mondiale de la santé et l’Organisme européen de reconnaissance des plantes (ESCOP) recommandent la racine d’ortie pour les problèmes urinaires liés à la prostate.
L’ortie augmente le débit urinaire. Elle soulage les inflammations des voies urinaires. Elle est bénéfique en cas de calculs rénaux.
Pour le traitement du cancer de la prostate, l’ortie est le composant principal de certains médicaments (par exemple le Bazoton) ou associée à d’autres plantes (palmier nain et pygeum dans le Prostagutt Forte)[5].
Saignements, cancers : des pistes prometteuses
L’ortie est un anti-hémorragique reconnu. Le médicament Ankaferd, par exemple, qui est prescrit en cas de saignements gastriques, est dérivé d’une préparation traditionnelle turque qui contient, entre autres plantes, des extraits d’ortie[6].
L’intérêt de l’ortie comme adjuvant dans le traitement du cancer a été validé par plusieurs études. Une étude de l’Université de Warwick, en Angleterre, publiée en 2018, démontre la capacité du JC11 (un composé organique contenu dans l’acide formique des orties) à attaquer et éliminer les cellules cancéreuses[7], sans endommager les cellules saines, et donc en provoquant beaucoup moins d’effets secondaires.
Nul besoin d’être malade pour profiter de ses bienfaits
Prenez quelques précautions avant de ramasser des feuilles d’orties. Si vous ne parvenez pas à leur parler, utilisez des gants. Selon l’humidité, la température, l’heure du jour, les orties vont être plus ou moins piquantes, mais tant qu’elles sont fraîches, elle le seront toujours un peu. En revanche, quand elles sont ramassées, elles perdent très vite leur pouvoir urticant.
Ne ramassez que les jeunes pousses situées au sommet de la tige principale, ou des tiges les plus hautes. Les feuilles plus anciennes seront dures et contiennent du carbonate de calcium. Ne ramassez ni la tige, ni les fleurs.
Ne les ramassez pas n’importe où. L’ortie concentre les polluants, métaux lourds (bordures de route ou anciennes décharges) ou pesticides (bordures de champs agricoles). Récoltez-la dans des lieux dont vous savez qu’ils ne sont ni pollués ni traités.
Dans certaines régions (notamment l’est de la France), les orties peuvent être contaminées à l’échinococcose, une maladie parasitaire grave, transmissible à l’Homme, principalement par le renard. Évitez de manger des orties crues ou, en tout cas, préférez les jeunes feuilles qui sont à plus de cinquante centimètres du sol et risquent moins d’être contaminées.
Nettoyez toujours soigneusement les orties avant de les consommer.
Et maintenant choisissez votre recette
La soupe aux orties est facile à préparer et très nourrissante.
Faire revenir de l’ail et un oignon dans de l’huile d’olive. Ajouter de l’eau et du sel, ainsi que trois ou quatre pommes de terre et une carotte. Quand ces dernières sont cuites, ajoutez trois grosses poignées de pousses d’orties, et portez à ébullition une minute. Passez au mixeur et, selon vos goûts, agrémentez d’un peu de crème fraîche.
La quiche aux orties surprendra vos amis.
Faire revenir deux oignons dans de l’huile d’olive avant d’ajouter deux grosses poignées de pousses d’orties. Disposez sur le fond d’une pâte brisée. Mélangez 3 dl de lait, une pointe de crème fraîche et 2 œufs. Assaisonnez et versez sur les orties. Faites cuire à four chaud pendant trente minutes.
La tisane aux orties, pour vous, pour votre potager ou pour vos cheveux !
Plongez 100 g d’ortie dans 1 litre d’eau froide et portez à ébullition. Quand l’eau frémit, éteignez le feu et laissez infuser pendant 12 heures avant de filtrer. Pulvérisée sur le feuillage des légumes et des plantes ornementales (rosiers), cette tisane protégera des pucerons et acariens.
Bien sûr, vous pouvez faire sécher les feuilles d’ortie pour les utiliser en tisane hors saison.
La tisane peut aussi vous servir de base pour préparer un shampooing aux orties.
L’ortie contient de la méthionine et de la cystéine, qui donnent force et élasticité à vos cheveux. Le zinc permet de rééquilibrer les sécrétions de sébum, et le fer tonifie le cheveux.
Ajoutez à votre tisane filtrée 75 g de savon liquide et quelques gouttes d’huile d’amande douce ou d’argan. Selon vos problèmes de cuir chevelu, vous pouvez également ajouter quelques gouttes d’huile essentielle.
Le geste simple que vous pourriez faire aujourd’hui ?
Dans votre jardin, près de votre logement, ou sur le chemin du travail, repérez un endroit où des orties poussent (mais pas au bord de la route ni sur une ancienne décharge).
La question que vous pourriez vous poser aujourd’hui ?
Et vous, quelles sont vos épines, quels sont vos piquants ? Quel est votre mécanisme de défense naturel ?
