Du pétrole dans nos assiettes - Nouvelle Page Santé

Du pétrole dans nos assiettes

Le scandale de l’hexane

Vous pensiez que votre huile de tournesol était inoffensive ? Moi aussi.

Jusqu’à ce que, fin septembre, Greenpeace publie un rapport alarmant[1] : L’ONG a fait analyser 56 produits du quotidien par un laboratoire indépendant : beurre, huiles végétales, poulet, laits, dont le lait infantile…

Leur conclusion ? Près des deux tiers contiennent des traces d’hexane, un solvant dérivé du pétrole, connu pour sa toxicité sur le système nerveux.

Quelques jours plus tard, une trentaine de médecins, scientifiques et acteurs de la santé signent une tribune dans Le Monde pour tirer à leur tour la sonnette d’alarme[2].

J’ai voulu en savoir plus. Et là, stupeur : ce dérivé pétrochimique s’est effectivement invité dans nos cuisines, en toute légalité. Invisible, omniprésent, il circule dans nos assiettes sans que personne n’en parle.

Mais au fait, c’est quoi l’hexane ?

Lorsque le pétrole brut est raffiné, il est transformé en différents composants, tels que l’essence, le kérosène, le gazole et l’hexane.

Longtemps considéré comme un déchet sans valeur, juste bon à être brûlé, il trouve une place de choix dans l’agroalimentaire grâce à ses propriétés de solvant.

Concrètement, il sert à extraire l’huile des graines de tournesol, de colza ou de soja. Son efficacité est redoutable. Avec un coût minime, il permet d’en récupérer jusqu’à 97 %, contre 89 % avec une pression mécanique traditionnelle.

Cette technique s’est généralisée dans les années 1950, portée par l’essor de la pétrochimie. En quelques décennies, elle a supplanté la méthode traditionnelle dans la quasi-totalité des huileries. Aujourd’hui, plus de 95 % des huiles de table vendues en supermarché sont extraites à l’hexane.

De quoi transformer un sous-produit pétrochimique en une véritable aubaine économique.

Pour notre santé, ai-je besoin de vous dire que c’est une autre histoire ?

Un poison qui ronge le cerveau

Ses effets nocifs sont documentés depuis les années 1960. C’est sa neurotoxicité qui a été identifiée en premier avec des symptômes typiques : engourdissements, faiblesse musculaire et troubles de la coordination[3].

Et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg.

Le journaliste Guillaume Coudray, auteur d’une enquête approfondie sur le sujet, décrit un mécanisme inquiétant : « Le foie humain le transforme et le convertit en une molécule encore plus dangereuse, la 2,5-hexanédione. C’est l’un des plus puissants neurotoxiques connus ».[4]

Or, notre cerveau, riche en lipides, est une cible privilégiée. Ce solvant lipophile s’y fixe naturellement, en particulier sur la gaine de myéline qui protège les nerfs et assure la transmission des influx nerveux.

N’allez pas imaginer que c’est de la théorie. Certaines études établissent déjà des liens avec la maladie de Parkinson[5]. En Scandinavie, d’autres recherches suggèrent un facteur de risque pour la sclérose en plaques[6].

Les risques ne s’arrêtent pas là

On le suspecte aussi d’être un perturbateur endocrinien, capable d’altérer la fertilité masculine, d’affecter la maturation des ovules, voire de porter atteinte au développement embryonnaire.

Ces dérèglements hormonaux seraient également associés à l’obésité infantile et à un risque accru de maladies chroniques à l’âge adulte.

Face à ce constat, des voix s’élèvent. Dans leur tribune publiée dans Le Monde, les signataires rappellent que la France traverse « une crise historique de la natalité » et « une progression inquiétante des troubles endocriniens ». Pour eux, l’hexane figure parmi les suspects à contrôler d’urgence.

Je partage leur inquiétude. Surtout quand on découvre ce qui suit…

Une contamination invisible

« Il suffit de lire les étiquettes », me diront certains. Excellent réflexe, mais il est inutile ici.

Car voici le piège : l’hexane est classé comme « auxiliaire technologique ». Autrement dit, il n’y a aucune obligation légale de le mentionner dans la liste des ingrédients. Impossible dès lors de savoir si nos aliments sont contaminés…

Et ils le sont. À commencer par les matières grasses du commerce et les produits qui en contiennent. De la margarine à la mayonnaise, en passant par les plats préparés, le chocolat (via la lécithine de soja) et les produits végétariens, presque rien ne lui échappe.

Ajoutez à cela les tourteaux, ces résidus de graines dont on extrait l’huile. Ils constituent la base de l’alimentation animale industrielle en Europe. Les vaches, les porcs, les poulets et les poissons d’élevage en consomment massivement. Lipophile, ce solvant s’accumule ainsi dans leurs graisses et finit dans le lait, le beurre et la viande.

Bref, dans votre réfrigérateur.

Comment un tel produit peut-il encore être autorisé ?

Les données toxicologiques qui encadrent son usage datent de 1996. Vous avez bien lu. Elles ont presque trente ans ! Summum de l’ironie, elles proviennent des industriels eux-mêmes. Autrement dit, ils sont juges et parties.

En 2024, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a déclaré ces données toxicologiques « insuffisantes et inadéquates ». Mieux vaut tard que jamais, direz-vous. Sauf que rien n’a changé depuis.

Pire encore, la réglementation actuelle ne couvre pas les produits d’origine animale. De nombreuses contaminations passent sous les radars. Un oubli, sans doute.

Au cœur de ce système, Greenpeace pointe le groupe Avril (Lesieur, Puget, Sanders). Ce géant de l’agroalimentaire occupe une position dominante dans la filière française des oléagineux. Il transforme plus de la moitié des graines oléoprotéagineuses utilisées en France, dont neuf sur dix sortent contaminées d’usines.

Selon l’ONG, son influence au sein des instances agricoles et politiques contribue à maintenir son utilisation. Un détail qui en dit long ? Le président de la FNSEA (principal syndicat agricole) est également président du conseil d’administration du groupe.

Face aux critiques, l’industrie se défend en arguant qu’une grande part est éliminée lors du processus pour ne laisser que des traces résiduelles.

Cet argument ne tient pas. Il s’agit quand-même d’un neurotoxique avéré, ingéré au quotidien, pendant des années. Sans oublier les effets cumulatifs, le fameux effet cocktail.

Les autorités sanitaires elles-mêmes reconnaissent le danger, à leur façon. L’ANSES recommande depuis 2014 aux femmes enceintes d’éviter les produits de bricolage, d’entretien et les répulsifs contenant de l’hexane. En revanche, pour l’alimentation, rien n’est dit…

Une incohérence sidérante, surtout quand on sait que l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) le classe parmi les substances cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction.

C’est comme si on nous disait que respirer un solvant est nocif, mais que l’ingérer ne posait aucun problème…

Que peut-on faire ?

Je ne peux que vous encourager à revoir le contenu de vos placards. Oui, encore. En pratique, comment faire ?

  • Pour les huiles, c’est simple. L’idéal est le label biologique. Sinon, optez pour les mentions « extraction mécanique », « première pression à froid » ou « pressé à froid ». Pas de mention ? Passez votre chemin. Personnellement, j’utilise une huile bio pour les assaisonnements et l’huile de coco ou le ghee pour les cuissons.
  • Pour les produits transformés, méfiance. Plats préparés, biscuits, sauce… ils multiplient les transformations et donc les risques de contamination (huiles raffinées, œufs, lait…). N’en faites pas la base de votre alimentation. Privilégiez les aliments bruts, sur lesquels vous avez la main.
  • Pour la viande, les œufs et les produits laitiers, misez sur le bio ou les circuits courts. Votre boucher ou producteur local saura vous renseigner.

Mais que les choses soient claires, la solution ne peut venir uniquement de nos caddies.

L’hexane devrait a minima figurer sur les étiquettes, et idéalement être interdit dans nos assiettes (et même nos cosmétiques, où il se cache aussi !).

Du pétrole dans notre alimentation, en toute discrétion, depuis des décennies. Il serait plus que temps d’en parler, non ?

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Sources :

Merci de ne poser aucune question d’ordre médical, auxquelles nous ne serions pas habilités à répondre.

En soumettant mon commentaire, je reconnais avoir connaissance du fait que les éditions Nouvelle Page pourront l’utiliser à des fins commerciales et l’accepte expressément.

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